mercredi 16 octobre | 03:17

TOSHIYA TAKATSUKA – Parcours d’un chef pâtissier japonais à la conquête de la France

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Toshiya Takatsuka : parcours d’un chef pâtissier japonais à la conquête de la France

Avant de rejoindre Kei Kobayashi, seul chef japonais 3 étoiles en France, le chemin de Toshiya Takatsuka n’a pas toujours été un long fleuve tranquille. Et c’est bien ce qui l’a rendu plus déterminé et talentueux. À en entendre les clients du restaurant Kei « les desserts de Toshyia sont parmi ceux que l’on gardera toujours en mémoire ». Portrait d’un chef pâtissier qui offre tout son talent et sa sensibilité dans une assiette.

Toshiya Takatsuka

Toshiya Takatsuka au restaurant Kei

Expériences dans le Sud avant de gagner la capitale

  • Peux-tu nous présenter ton parcours ?

À 18 ans, j’étudie la cuisine et la pâtisserie française/européenne pendant deux ans entre Tokyo et Osaka. Je travaille ensuite dans la boutique de Fujiu Yoshiharu à Tokyo. Après plusieurs années en France, Fujiu Yoshiharu est revenu au Japon pour ouvrir sa boutique de pâtisserie française. Il était alors l’un des premiers à faire connaitre cette pâtisserie aux japonais (avec des viennoiseries, chocolat, confiseries, petit four…). Au bout de 5 ans, le chef Fujiu me pousse à aller en France pour confirmer ce que j’avais appris au Japon. Pour lui, il n’y a pas mieux que de se rendre dans le pays même, pour mieux comprendre la pâtisserie française grâce à sa culture, son histoire…J’arrive en France en 2009, à Bormes-les-Mimosas pour intégrer la brigade de Rolland Del Monte (Meilleur Ouvrirer de France glacier). Malgré l’accueil chaleureux du chef et de mes collègues, je ne suis resté que 3 mois car peu de temps après mon arrivée, le chef est parti au Canada et le restaurant a fermé ses portes. Par chance, un ami cuisinier m’a proposé une place chez un traiteur au Lavandou, où je suis resté plus d’un an.

Suite à ces expériences dans le sud, je monte à Paris pour intégrer les brigades de l’Atelier de Joël Robuchon, durant un an. Un rythme très soutenu, avec près de 250-300 couverts par jour, où j’ai aussi eu l’occasion de travailler en cuisine. Cette expérience m’a permise d’acquérir de nouvelles compétences et de développer des idées plus variées pour mes créations.

Après avoir été chef de parti en pâtisserie à l’Hôtel Lancaster, c’est en 2013 que je rejoins le restaurant Kei en tant que chef pâtissier. Chez Kei, tous les services sont complets et très intenses. Quand j’ai commencé, il avait une étoile, puis il a décroché la 2ème en 2017 et enfin la 3ème étoile en 2020.

En 2019, j’ai reçu le prix de la première édition de Passion Dessert sélectionné par le Guide Michelin, parmi une vingtaine de pâtissiers issus d’établissements 2 ou 3 étoiles, j’étais le seul asiatique. J’en suis particulièrement fier !

  • Quelle influence porte le Japon sur la création de tes desserts ?

Mon dressage s’inspire du wabi-sabi, c’est-à-dire aller à l’essentiel du produit, la recherche de l’authenticité et de la profondeur. Je retranscris ce concept dans mon vacherin, car il laisse découvrir, une fois la première coque cassée, ce dont il est composé derrière la finesse et la technique, avec peu de décoration. Par exemple, les gâteaux japonais sont visuellement très simples comme le concept du wabi sabi, ils vont à l’essentiel et le goût est très doux. À l’inverse, la France met en avant ses pâtisseries avec des textures plus expansives et avec des variétés de fruits très différentes. 

mignardises : guimauve glacée chocolat au lait / tartelette abricot

Mignardises : guimauve glacée chocolat au lait / tartelette abricot

Une inspiration puisée auprès du produit et de sa brigade

  • Où puises-tu ton inspiration ?

Par les cuisiniers qui m’entourent au quotidien. Sur une même pièce de viande ou de poisson, ils peuvent utiliser 3 cuissons différentes. Cette manière de voir le produit m’inspire beaucoup.  Aussi, travailler auprès d’eux m’aide à trouver des assemblages de saveurs avec des épices et des herbes (comme la tarte citron meringuée basilic). 

Grâce au restaurant Kei, nous recevons beaucoup de produits de grande qualité comme les sudachi, rhubarbe, fraise… Je trouve alors l’inspiration dans le produit simplement. J’essaye de le comprendre et de trouver comment l’améliorer. Avec l’exemple d’une fraise, un produit simple et bon. Mais pour la cuisiner, quel ingrédient faut-il ajouter pour qu’elle soit meilleure et sous quelle forme ? En tarte, vacherin, mousse… mais il ne faut pas non plus trop la transformer pour garder l’essentiel du produit. On peut ajouter à ce produit un sorbet au lait fraise par exemple, pour rappeler une fois de plus l’élément principal.

  • Un ingrédient que tu aimes particulièrement travailler ? 

Les agrumes. Car au restaurant, nous avons la chance d’avoir la main sur une grande variété de ces fruits. De nombreux producteurs nous proposent des échantillons pour essayer des préparations et cela nous offre parfois de belles surprises. Par exemple le yuzu, il ne se travaille pas de la même manière en novembre et en janvier car la saison est différente et va influencer le fruit. Il faudra alors augmenter la cuisson, ajouter plus ou moins de sucre…

Sudachi de Tokushima

Raconter une histoire par un dessert 

  • Peux-tu nous citer l’un de tes desserts français qui inclut un produit japonais ?

Le baba au rhum et sa glace kokuto (sucre de canne japonais pour renforcer le gout). Il y a la liaison entre le rhum, fait à base de canne à sucre et le kokuto. Ce n’est pas un hasard si ce produit japonais a été choisi. L’idéal est de toujours avoir une bonne raison d’utiliser un produit en particulier et d’avoir une histoire à raconter par ce dessert. J’aimerais laisser mon empreinte dans la pâtisserie mondiale grâce à l’une de mes créations.

Baba au rhum, glace kokuto

  • Quelle saison de l’année t’inspires le plus ?

Les quatre me plaisent, car chacune proposent des fruits ou des arômes différents qui vont caractériser les produits et influencer nos envies. Par exemple lorsqu’il fait froid, on préfère se tourner vers des saveurs rassurantes comme le caramel, vanille, chocolat…

Vanille de Madagascar

  • As-tu des modèles de pâtissiers/cuisiniers français ou japonais ?

J’ai deux modèles français. D’abord Pierre Hermé, qui a développé et a fait connaitre la pâtisserie française dans le monde. Pour cela je le respecte et j’aimerais être comme lui. Puis Christophe Felder, une personne agréable et humble, un exemple de la pâtisserie avec de grandes techniques. Il développe des recettes faciles à faire à la maison, où il explique que si le résultat est bon pour vous alors la recette est réussie. 

Pour le Japon je dirais le Chef Fujiu, car il a développé la pâtisserie française au Japon et sa mission est d’enseigner à un maximum de personnes. C’est une belle personnalité qui fait preuve d’un grand respect envers les autres.

  • Ton dessert signature ?

Le vacherin, car c’est la création de mon essai pour travailler au restaurant Kei. Mais le dessert a évolué depuis. Il n’a pas été validé tout de suite par le chef, mais seulement au bout d’un an. Je l’ai longuement retravaillé avec le chef et c’est donc aussi ma première création avec lui.

Vacherin mont blanc yuzu

  • Si tu ne devais choisir qu’une seule pâtisserie japonaise et française ?

Les dorakyaki sans hésiter ! Les meilleurs à Paris sont ceux de Toraya. Puis la charlotte aux poires, car les nashi (poire japonaise), me rappellent beaucoup le Japon. Ma grand-mère était productrice de nashi et avait de grands champs. Chaque été, je l’aidais à ramasser ces fruits et je les mangeais directement sur l’arbre. J’aime tant les poires que j’ai choisi le kanji « poire » pour le prénom de l’une de mes filles ! D’ailleurs le chef Fujiu a lui-même mis une charlotte aux poires devant sa vitrine. 

Devanture de la pâtisserie Fujiu à Tokyo

  • Quel est le premier plat que tu commandes lorsque tu arrives au Japon ?

Un sandwich au thon ou au porc pané (katsu sando). Chaque restaurant en fait une version différente mais cela reste toujours très bon et me fais sentir au Japon.

  • Des recommandations de restaurants/pâtisseries japonais à Paris ?

La pâtisserie de Mori Yoshida. La première fois que j’y suis allé, j’ai parlé avec les clients dans la file d’attente et ils m’ont conseillé les pâtisseries à choisir. Ses clients sont pour la plupart des habitués qui viennent de loin pour déguster ses pâtisseries.  Je recommande aussi le restaurant Shu, spécialiste de kushiague (brochette de petites bouchées de légumes, fruit de mer ou viande enveloppés d’une panure).

  • Quels conseils peux-tu donner à un pâtissier français qui souhaite aller au Japon pour apprendre la pâtisserie japonaise ?

Avoir de solides bases de pâtisserie de son pays avant de connaitre les techniques d’un autre pays. Quand je suis arrivé en France, on me posait des questions sur la pâtisserie japonaise et je ne connaissais pas toujours les réponses car j’avais surtout appris la pâtisserie française et cela me mettait mal à l’aise… La pâtisserie française est la numéro une mondiale. Donc si tu as les bases de celle-ci, tu peux travailler partout dans le monde, dont le Japon.

 

Je tiens à remercier chaleureusement Toshiya pour le temps qu’il m’a consacré pour cette première interview.

Retrouve Toshiya sur Instagram : toshiya.takatsuka

Pour goûter à ses desserts : Restaurant Kei. Réservations au 01 42 33 14 74 ou par mail reservationkei@gmail.com 

Jours d’ouverture : Mardi et mercredi : uniquement le soir. Jeudi, vendredi et samedi : midi et soir.

A propos de l'auteur

Irasshaimase ! Passionnée de cuisine nippone, qu’elle soit populaire ou étoilée, je vous partage mes coups de cœur de restaurants japonais et bien plus encore !

Un commentaire

  1. Oh merci pour cette découverte, je ne connaissais pas ce pâtissier. Je vais m’y intéresser de prés grâce à toi!

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