mardi 3 décembre | 17:58

L’importance des saisons dans la gastronomie japonaise

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J’ai toujours été sensible à l’impact des saisons sur le cours de la vie, le ressenti que nous avons face à un climat ou à la météo du jour. La nouvelle saison est attendue avec impatience, car elle représente pour chacun une période de l’année qui nous replonge dans des souvenirs et une manière de vivre différente de la saison présente. La saison influe pertinemment sur nos désirs, eux-mêmes liés à nos envies culinaires. L’hiver nous donnera l’envie de déguster un copieux katsu curry, alors que l’été se prête à de fraiches zaru soba.

C’est grâce à l’ouvrage de Ryoko Sekiguchi « Nagori : la nostalgie de la saison qui vient de nous quitter » que m’est venue l’idée d’aborder l’impact des saisons sur la cuisine japonaise.

Le calendrier solaire

A ce sujet, les japonais ont un lien très fort avec les saisons qui rythment leur existence, car celles-ci sont très marquées par des symboles (comme la fleur de cerisier ou de prunier qui caractérise le printemps) et des événements, rythmés par le calendrier solaire.

Bien que de nos jours, le Japon utilise officiellement le calendrier grégorien, le calendrier solaire, créé par la Chine, fut introduit au Japon au milieu du VIème siècle afin d’optimiser au mieux leurs cultures, de faire des prévisions et d’anticiper les désastres climatiques qui pourraient endommager leurs champs.

Ce calendrier est divisé en 24 périodes solaires de 15 jours, qui ont ensuite à leur tour été divisées en 72 segments. Il a été créé à partir de l’étude des mouvements circulaires du soleil sur une année. Les 24 saisons sont nommées comme indiqué ci-dessous, en commencent par le printemps à la date du 4 février :

RISSHUN 立春 – L’arrivée du printemps USUI 雨水 – Eau de pluie
KEICHITSU 啓蟄 – Fin de l’hibernation des insectes SHUNBUN 春分 – Equinoxe de Printemps
SEIMEI 清明 – Clair et lumineux KOKU-U 穀雨 – Pluie de grains
RIKKA 立夏 – L’arrivée de l’été SHÔMAN 小満 – Petite maturité
BÔSHU 芒種 – Temps des semailles GESHI 夏至 – Solstice d’été
SHÔSHO 小暑 – Petite chaleur TAISHO 大暑 – Grande chaleur
RISSHÛ 立秋 – L’arrivée de l’automne SHOSHO 処暑 – La fin des chaleurs d’été
HAKURO 白露 – La rosée blanche SHÛBUN 秋分 – Equinoxe d’automne
KANRO 寒露 – Rosée de fin d’automne SÔKÔ 霜降 – La descente du givre
RITTÔ 立冬 – L’arrivée de l’hiver SHÔSETSU 小雪 – Petite neige
TAISETSU 大雪 – Grande neige TÔJI 冬至 – Solstice d’hiver
SHÔKAN 小寒 – Petit froid DAIKAN 大寒 – Grand froid

 

Les 24 saisons du calendrier solaire

Par la suite, les japonais ont adapté ce calendrier en fonction du climat de leur pays, qui diffère de celui de la Chine, bien que le Japon soit lui-même diviser sous différents climats (par exemple entre Hokkaido et Okinawa).  

Ce calendrier rythme la vie de tous les jours en plus de faciliter la bonne gestion de l’agriculture. Les saisons inspirent, que ce soit dans le domaine du théâtre, de la littérature, de la musique et de la danse, de la calligraphie… la gastronomie se joint alors à ces arts et tiens un rôle très important.

Cependant, ce calendrier reste principalement symbolique et culturel, car il est tout bonnement délicat d’appliquer chacune de ces périodes à un climat qui lui correspond totalement. Par exemple, il ne peut s’appliquer qu’à un climat tempéré comme au Honshu. Il serait délicat de se fier à ce calendrier dans une région du monde tropicale ou polaire, dont les saisons sont moins marquées et offrent des produits moins diversifiés.

Pour détailler ces saisons tout en douceur, le roman de Inaba Mayumi « La péninsule aux 24 saisons », raconte l’histoire d’une femme qui durant douze mois loin de Tokyo, fera l’apprentissage des vingt-quatre saisons d’une année japonaise. Elle confectionne des confitures, compose des haïkus, sillonne la forêt… 24 saisons, c’est le temps qu’il faut pour une renaissance.

« La péninsule aux 24 saisons », de Inaba Mayumi

Le haïku

L’art du haïku, petit poème extrêmement court que chacun peut composer, sur le thème d’une saison. La sensibilité vis-à-vis de la saison choisis, doit être exprimée par un lexique et des termes précis. On peut citer le célèbre auteur Matsu Bashô :

« Ah cette vie ! des patates douces encore – la source de la lune des moissons » ou « Herbe de l’oubli, cueillie pour soupe de riz la fin de l’année ».

Comme expliqué précédemment, le Japon a dû ajuster le calendrier solaire à son climat, sachant que le Japon est lui-même composé de plusieurs climats. Un poète Okinawaïen avait étonné les lecteurs de l’ile principale du pays car le climat qu’il avait évoqué dans son haïku ne correspondait pas à celui qu’ils connaissaient au vu du climat très différent.

La cuisine shôjin ryôri

Le calendrier solaire se base sur les principes bouddhistes de l’harmonie entre les Hommes et la nature. Il existe une cuisine indéniablement liée aux principes de cuisine de saison : le shôjin ryôri. Cette cuisine est végétalienne, mais certains moines peuvent introduire toutefois de la viande si celle-ci vient d’offrandes. Dans cette optique de recherche d’harmonie entre les humains et la terre, l’utilisation de produits de saisons est primordiale, ainsi que de consommer le produit dans son intégralité (comme l’utilisation des fanes ou des épluchures en tempura ou en base de bouillon). Comme le dit bien Mari Fujii, autrice japonaise spécialisée dans la cuisine bouddhique :

« Le shôjin se sert d’ingrédients de saison dans l’idée que suivre la nature est ce qu’il y a de mieux pour le corps ».

Un autre type de cuisine traditionnelle japonaise bien connue, le kaiseki qui s’appuie sur des produits frais de saison et locaux. Le repas kaiseki sera donc différent selon le lieu et la période à laquelle ces mets seront dégustés.

Statue de Bouddha à Kyoto

La gastronomie autour des évènements de saison

Les coutumes culinaires se mélangent aux différents évènements de l’année. Par exemple, durant le mois de janvier, pour la période du nouvel an, après la première visite de l’année au sanctuaire, on mange un repas sous le nom de osechi-ryôri. Il est composé d’un ensemble de petits plats traditionnels que l’on consomme les 3 premiers jours de l’année. Sous la forme de bento, ces mets portent chacun une symbolique, ayant pour but de porter chance: le kazunoko (œufs de harengs marinés, propices à la fécondité et productivité), kôhaku kamaboko (pain de poisson rouge et blanc, dont le rouge est vu comme pour chasser les démons et le blanc en symbole de pureté), ebi noyakimono (crevette grillée dont le symbole est la longévité de par ses longues antennes et son dos rond signifie qu’il est possible de rester actif même sous le poids de la vieillesse).

Repas osechi-ryôri © Trends in Japan

Les termes hashiri, sakari et nagori

Au Japon, là où chaque saison est considérée à sa juste valeur, un produit alimentaire a lui aussi des termes spécifiques pour décrire son cycle de vie. Dans son ouvrage « Nagori, La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter », Ryoko Sekiguchi explique parfaitement bien ce principe de hashiri, sakari et nagori.

Le terme hashiri vient du verbe « hashiru » voulant dire « courir », il est synonyme de quelque chose de précurseur ou d’avant-coureur,  et se rapporte au début de saison. Un fruit aura par exemple un côté plus acide et croquant car la saison vient de commencer. Le terme sakari signifie « le comble » ou « l’apogée », il s’agit donc de la période où le produit sera au meilleur de son goût. Puis, le terme nagori est un terme subtil qui signifie « la trace » ou « l’atmosphère laissée par une chose passée », Il représente la nostalgie qu’on a vis-à-vis d’un produit que nous ne pourrons plus déguster car la saison est terminée. Cette mélancolie rend le produit meilleur, son goût semble plus prononcé car il s’agit de la dernière bouchée que l’on doit savourer.

Dans mon interview du chef pâtissier Toshiya Takatsuka, après lui avoir demandé quel était son produit favori à travailler, il m’expliquait ce principe de hashiri, sakari et nagori et l’importance des saisons sur les agrumes :

« Par exemple le yuzu, il ne se travaille pas de la même manière en novembre et en janvier car la saison est différente et va influencer le fruit. Il faudra alors augmenter la cuisson, ajouter plus ou moins de sucre… ».

Toutefois, les goûts et habitudes gustatives ont évolués, par exemple, il y a quelques années les japonais appréciaient les mandarines encore vertes et acides alors qu’aujourd’hui on préfère consommer ce fruit lorsqu’il est mur et juteux, même si chacun d’entre nous a ses propres préférences et références en terme de consommation d’un produit.

« Nagori : La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter », de Ryoko Sekiguchi

 Un film au fil des saisons : « Dans un jardin qu’on dirait éternel »

Tatsushi Ōmori, nous offre un magnifique exemple cinématographique de l’impact des saisons sur la gastronomie et la culture japonaise avec le film « Dans un jardin qu’on dirait éternel ». Il présente à merveille la beauté des saisons, la cérémonie du thé, la transmission… On suit les cousines Noriko et Michiko, qui étudient l’art du thé et ses rituels et évoluent peu à peu chacune de leur côté. 24 ans plus tard, l’heure du bilan. Ce qui laisse le temps au film de nous montrer chacune des saisons de manière très détaillée avec de fabuleuses images. Ce film nous en apprend beaucoup sur les rituels de la cérémonie du thé mais évoque aussi l’un des concepts du nagori vu plus haut. L’un des rituels de cette cérémonie est appelé nagori no cha, « le thé de nagori » organisée en automne avec les restes du thé de l’année précédente.

« Dans un jardin qu’on dirait éternel » © Arthouse Films

Le Japon regorge de rituels gastronomiques ancestraux, de termes et de concepts encore utilisés de nos jours liés à chaque saison. La cuisine japonaise offre dans notre assiette une esthétique en accord avec la saison, jouant sur les couleurs et les textures qui éveilleront ainsi nos 5 sens et nous ferons à merveille ressentir la présence de la saison.

Et vous ! Faites-vous attention aux saisons et aux aliments que vous consommez ? 

Sources :

  • « La nostalgie de la saison qui vient de nous quitter » par Ryoko Sekiguchi
  • « Vivre le Japon » par Yukata Yazawa Le magazine n°24
  • « France Sushi », dossier « Shôjin ryori : la cuisine du lien et de la gratitude »

 

A propos de l'auteur

Irasshaimase ! Passionnée de cuisine nippone, qu’elle soit populaire ou étoilée, je vous partage mes coups de cœur de restaurants japonais et bien plus encore !

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