jeudi 21 novembre | 18:26

L’art du gyotaku avec Luc Legendre

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Luc Legendre est un passionné de cet art japonais que l’on appelle gyotaku. C’est son métier de cuisinier qui l’a naturellement guidé vers cette pratique qui honore le souvenir du poisson qui a nourri les Hommes. Un travail de mémoire et une volonté d’utiliser des méthodes durables afin de respecter le produit dans son entièreté. C’est depuis la ville de Rennes, d’où il est originaire, que Luc me confie le fonctionnement de son art qu’il aime transmettre à ses élèves comme à ses clients. 

Crédit photo Christophe Bornet

Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Je suis cuisinier de métier, avec un parcours étoilé dans des restaurants 1 et 2 étoiles, puis j’ai été chef de mon établissement en région rennaise. Maintenant, je suis formateur cuisine et pâtisserie, en école de formation pour un public en demande et apprentissage cuisine. Je les forme sur le filetage du poisson et leur explique le respect du produit. Je donne aussi des ateliers sur l’art du gyotaku qui se déroulent en première partie sur la connaissance, puis on travaille le produit. Je donne aussi des ateliers sur l’art du Gyotaku qui se déroulent en première partie sur la connaissance, puis on travaille le produit. Certaines personnes se sentent touchées artistiquement par cette pratique. C’est durant ma période de formateur que j’ai eu plus de temps pour améliorer mon niveau de Gyotaku. Le métier de cuisinier étant assez stressant, j’avais besoin d’un échappatoire. Si j’avais fait un autre métier, je ne suis pas sûr que j’aurais été autant touché par cet art.

Quel est l’histoire et le concept du gyotaku ?

Des samouraïs en campagne ont pêché une daurade (poisson emblématique du Gyotaku) qu’ils ont voulu ramener à l’empereur. Étant impossible de l’emporter, ils ont capturé l’empreinte et l’ont remis à l’empereur en tant que présent. C’est donc vers la fin du 17ème, début 18ème siècle, quand la pêche était miraculeuse et que l’on voulait immortaliser le moment pour en conserver un souvenir, qu’est né le système de création d’empreinte avec de l’encre de Chine, qui à l’époque était à base de bois calciné. Puis on appliquait un tissu de soie pour créer l’empreinte du poisson. Le résultat était assez brut avec peu de détails car l’empreinte était directe. Les pêcheurs exprimaient grâce à ce procédé leur reconnaissance envers la mer et l’océan pour avoir nourri leurs familles. Remercier la nature et lui montrer le respect
par rapport aux poissons pêchés, qui vont nourrir et alimenter un foyer entier. Peu de personnes connaissent cet art, incluant les japonais. Quand je parle du Gyotaku avec mes collègues japonais en France, eux-mêmes ne le connaissent pas forcément, car cet art est issu d’une communauté du littoral. “Le gyotaku permet de faire perdurer l’âme de l’animal qui a servi à nourrir les hommes”.

« Le gyotaku permet de faire perdurer l’âme de l’animal qui a servi à nourrir les Hommes »

Crédit photo Christophe Bornet

Votre ancien métier de cuisinier a-t-il influencé votre choix vers cet art ?

Je suis avant tout passionné par la cuisine et j’ai l’habitude de travailler le produit de A à Z. J’ai alors trouvé la connexion évidente ! J’aime aussi la culture, les produits… c’est ainsi que j’ai eu un coup de cœur pour cet art, voire une fascination. Je me suis documenté et j’ai regardé ce qui se faisait. A force de m’entraîner, j’ai progressé et je suis content de mon évolution, entre mes premières toiles et maintenant. Comme la
cuisine, c’est un art intéressant où il ne faut pas oublier de rester humble. Réussir aujourd’hui ne veut pas dire réussir aussi parfaitement demain. Il faut toujours faire attention aux gestes car l’empreinte peut être ratée, comme lors d’une mauvaise manipulation en cuisine.

« Le but est de travailler le produit et de donner en même temps un peu de présence à l’éphémère. »

Le poisson est entier devant moi et quelques heures après il sera cuisiné et mangé. L’idée est de garder l’empreinte avant qu’il ne soit cuisiné car on ne le verra plus. Se souvenir du produit qu’on a travaillé. J’ai des collègues qui pêchent mais ne sont pas forcément touchés par cet art. Nous, cuisiniers, on va s’en occuper et prendre soin de le préparer avec précaution, correctement lavé et cuit…

Où trouvez-vous le poisson que vous utilisez ?

Je ne pêche pas du tout ! Aujourd’hui, ça fait bientôt 6 ans que je pratique cet art et mes anciens collègues chefs (comme Nicolas Carro à l’Hôtel de Carantec) m’appellent et me disent «Je vais avoir un turbot de 10kg» et j’arrive pour réaliser l’empreinte ! Tout se fait au feeling dès qu’un collègue poissonnier me propose des grosses pièces.

Quel est le procédé afin de pouvoir consommer le poisson ensuite ?

En tant que cuisinier, l’intérêt est de le cuisiner et d’en garder le souvenir physique. J’utilise donc l’encre de seiche que je connaissais déjà car je l’utilisais souvent dans mes plats. C’est une matière organique qui peut tenir sur un tissu (une variété de papier washi, papier de base végétale, souvent à base de feuille de mûrier). Je traite l’encre avec de l’acide citrique qui permet de la stabiliser et d’empêcher toute fermentation sur le tissu. Ce procédé permet d’éviter les pertes, sensibiliser à ne pas gaspiller et optimiser au maximum le produit. L’optimisation veut dire: acheter le poisson le matin, prendre son empreinte puis le cuisiner pour le dîner. Il est arrivé plusieurs fois que les clients me demandent si les arêtes étaient conservées quelque part pour en faire l’empreinte afin de repartir avec son empreinte (c’est-à- dire la queue, les arrêtes et la tête du poisson). Les clients ont compris le principe, ces demandes nous surprennent mais nous font plaisir.

Cet art peut-il se réaliser avec d’autres aliments ?

Un ami, Mathias Narcissot qui tient sa pâtisserie à Rennes m’a soufflé l’idée de faire des empreintes avec des cabosses de cacao et écorces végétales. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’essayer avec d’autres produits. A la demande de collègues, j’ai tenté des légumes comme le fenouil avec ses branches et racines, un blé noir de sarrasin, de la betterave, du chou… Mais cela sort un peu du cadre du Gyotaku, qui se fait uniquement avec des produits de la mer. C’est finalement comme le tataki zomé (impressions végétales sur le tissu).

Avez-vous un maître japonais dans l’art du gyotaku qui vous a formé ?

J’ai appris en autodidacte. Mon rêve est d’aller au Japon pour rencontrer des maîtres qui en font pour apprendre de nouvelles façons d’aborder la chose. J’ai fait beaucoup d’essais, je me suis accroché. En tant que cuisinier; je connaissais l’anatomie du poisson, l’encre de seiche, comment trouver l’alchimie entre le rendu papier et le rendu du poisson dessus. Avec toujours ce souci de s’appliquer comme pour le dressage final d’un plat. Une belle mise en place nécessite du temps pour qu’elle se réalise. Comme dans la restauration, il y a un gros travail de préparation qui demande du temps.

Que souhaitez-vous transmettre à travers le gyotaku ?

L’idée constante de saisonnalité, le respect du produit, le calendrier de la pêche. Le résultat d’une œuvre élégante à l’image du souvenir du poisson qu’on aura dégusté. Quand on me demande si je suis artiste, je réponds que non, que je suis cuisinier, mais je suis content si cela touche et interpelle.

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos projets « gyotaku art dinner » ?

Le poisson est pris le matin, on fait les empreintes l’après-midi et on le cuisine et le présente aux clients le soir. Je préfère exécuter le Gyotaku en restaurant plutôt qu’en galerie car je ne m’y sens pas vraiment à l’aise. Je privilégie les demandes des cuisiniers car je connais le milieu et faire les empreintes avec eux pour les présenter directement aux clients est plus agréable. Le lien est plus grand ainsi. Un restaurant à Lorient m’a proposé de faire une soirée autour du Gyotaku qui propose un menu spécifique de 2 ou 3 poissons de base qu’on va transformer avec des poissons nobles ou locaux. Je ne travaille pas les produits hors saison et demande aux clients d’attendre lors de demandes spéciales qui ne correspondent pas à la saison. Je souhaite refaire des événements comme celui-ci lors de la réouverture des restaurants, pour faire revenir la clientèle après la période délicate que nous traversons et cela intéressera les clients de voir des choses différentes.

Racontez-nous l’histoire du turbot de 10kg évoqué plus haut ?

Ce turbot a été pêché le jeudi et j’ai réalisé l’empreinte le vendredi car les chairs doivent être détendues; les reliefs seront davantage mis en avant avec la peau et les écailles. Puis il fut cuisiné le vendredi soir. Finalement, l’empreinte de ce poisson fut affichée au restaurant pour le week-end. En voyant son empreinte au mur, les clients étaient impressionnés de voir ce même poisson dans le menu ; le turbot était décliné en amuse-bouche et plat, plusieurs fois dans ce même menu…

Sur 10kg de poisson en ressort 50% de chair que l’on peut servir pour au moins 30 personnes. Les clients peuvent alors se rendre compte de ce que l’on peut sortir et nourrir grâce à ce turbot.

Prise de l’empreinte du turbot

Le résultat du turbot

 

 

 

 

 

 

 

Il y a eu aussi un thon qui faisait 167kg entier et 144kg vidé, ce qui est énorme. Il a été ensuite décliné en tartare, tataki… Ce sont des exemples qui expriment concrètement la philosophie de remerciement envers la mer nourricière de pouvoir cuisiner une pièce qu’elle nous autorise à pêcher.

Crédit photo Christophe Bornet

Crédit photo Christophe Bornet

 

Je remercie Luc pour le temps qu’il a pu consacrer à la transmission de son art durant notre entretien.

Je vous invite à visiter son site web pour plus de détails : 

https://www.bzh-gyotaku.com/

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Irasshaimase ! Passionnée de cuisine nippone, qu’elle soit populaire ou étoilée, je vous partage mes coups de cœur de restaurants japonais et bien plus encore !

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