Au Japon on se désinfecte la peau à outrance. Alcool à l’entrée de chaque magasin, savons stérilisants par défaut, antibactériens et antiviraux, on décape notre première barrière immunitaire : le microbiome de la peau.
Ces bactéries pourtant bénéfiques qui nous protègent des agents pathogènes susceptibles de nous rendre malades. Fait surprenant pour nous, en Occident : au Japon, l’existence même du microbiote cutané reste méconnue. Découvrez la culture du propre au Japon.
Jamais malade jusqu’à mon arrivée au Japon
Avant de m’installer au Japon, j’étais le type même de personne qui ne tombait jamais malade, et je ne ratais pas une occasion de m’en vanter à chaque hiver. La fièvre ? Quezaco. Il fallait m’expliquer le concept.
Puis, ma première vraie fièvre… au Japon. J’ai attrapé la grippe durant ma première année d’études à Kyoto. L’état grippal était si étranger à mon corps que ma tête n’avait même pas compris que j’étais malade. Ma température était montée à 38 °C, mais ignorante, je suis tout de même allée en cours. Jusqu’à ce que l’infirmière de l’université me renvoie chez moi, outrée à l’idée que j’aie mis les pieds dans un lieu public dans cet état.
Retour en France : une décennie de désert viral. Toujours pas malade. Fière de mon “bon système immunitaire”.
Jusqu’à… ma deuxième vie au Japon.
Et là, c’est l’avalanche : malade pratiquement tous les mois. Et la fièvre ? Je la connais par cœur maintenant. Alors j’ai commencé à me poser la question : pourquoi suis-je tout le temps malade au Japon ?Le post-Covid ? Peut-être. Mais la vie au Japon n’a pas tant changé entre l’avant et l’après. Et puis, mon regard s’est posé sur mes savons, posés innocemment dans la salle de bain et la cuisine.
Ils affichaient tous fièrement des étiquettes écarlates :
STÉRILISANT, ANTIVIRAL, ANTIBACTÉRIEN, GRADE MÉDICAL.

STÉRILISANT, ANTIVIRAL, ANTIBACTÉRIEN, GRADE MÉDICAL.
Crédit kireikirei.lion.co.jp
L’importance de la propreté au Japon
Au Japon, l’idée de devoir laver et désinfecter est étroitement liée à la responsabilité sociale pour maintenir l’ordre et l’harmonie de la société.
L’hygiène est également profondément ancrée dans les croyances shintoïstes. En effet, dans les pratiques de la religion Shinto, la purification et le lavage des mains sont nécessaires avant l’entrée du temple.
Désinfecter n’est pas seulement une question de santé, c’est une responsabilité morale et sociale.

devoir laver et désinfecter est étroitement liée à la responsabilité sociale
Au Japon, tous les savons tuent les microbes…même ceux qui nous protègent.
Je n’y avais jamais prêté attention auparavant. Mais en y regardant de plus près, on remarque vite que tous les savons sont antibactériens par défaut. Le fameux 薬用 (yakuyou), trône en rouge sur tous les flacons. Cela signifie littéralement usage médical.

Savon yakuyo
Il est donc difficile de se procurer un savon liquide simple sans ce pouvoir “médical” au Japon. Difficile, oui, mais pas impossible. Ils existent, mais en très faible quantité (en général une référence de produit par enseigne) et surtout, coûtent trois fois plus cher. Les pains de savons sont heureusement disponibles… tout en bas des rayons, comme réservés à une clientèle séparée.

Les pains de savons… tout en bas des rayons

Trois fois plus cher pour un savon liquide normal (659 yen contre 219 yen pour un savon antibactérien)
Produits stérilisants = efficace
Pour les Japonais, l’appellation yakuyou (médicalisé) est très rassurante. Elle est la preuve d’un produit puissant et efficace en lequel on peut faire confiance. Au contraire, un savon “normal” est jugé comme inefficace et réservé aux personnes à la peau très sensibles, ou sujette à l’eczéma.
Mais, ironiquement, le fait est que beaucoup de japonais ont justement la peau sensible jusqu’à souffrir d’eczéma ou dermatites. Surement causés ou aggravés par l’utilisation même de ces savons antibactériens décapants.
Au Japon, environ 10 % des nourrissons et 10 % des adolescents souffrent de dermatite atopique. Un pourcentage qui serait relativement élevé par rapport au reste des pays développés . (source).

un savon “normal” est jugé comme inefficace. Ici on est rassuré par l’effet stérilisant
Un savon médical pour la vie quotidienne ?
Les savons antibactériens ne doivent pas être utilisés au quotidien. Les conséquences en seraient désastreuses :
Ils dessèchent la peau au point de la faire craqueler, ce qui ouvre la porte aux infections. Ils détruisent le microbiote cutané, notre première barrière immunitaire et les pathogènes peuvent envahir plus facilement. Pour conserver l’équilibre de notre microbiote, l’hydratation de la peau associée à l’utilisation d’un savon doux est donc primordiale.
Le microbiome cutané est un écosystème bénéfique composé de bactéries, de levures, de champignons et de virus vivant sur notre peau. Il est important de maintenir son équilibre pour notre santé.

Crédit biocodexmicrobiotainstitute.com
Les seules occasions où il est utile d’utiliser un savon antibactériens sont :
- Dans le milieu hospitalier,
- Si vous vous occupez d’une personne immunodéprimée,
- Après avoir touché de la viande ou du poisson cru
- En cas de pandémie et seulement, si recommandé par les autorités sanitaires.
En effet, les études scientifiques n’ont pas trouvé de preuves que l’utilisation de ces savons antibactériens serait plus efficace que celle d’un savon simple.
Microbiome méconnu.
Si en Occident, l’importance de préserver l’équilibre du microbiome et ces bonnes bactéries est répandue auprès des professionnels de la santé et de la population, au Japon, cette idée n’a pas encore vu le jour. À l’exception des probiotiques liés à la santé des intestins, le microbiome de la peau fait froncer les sourcils.
Ainsi, interrogez un japonais sur l’existence de bons microbes vivent sur la peau et il vous répondra avec surprise qu’il n’en a aucune idée. La notion même de microbiome bénéfique au système immunitaire est méconnue du grand public.
Restaurer sa peau, c’est possible
Bonne nouvelle pour ceux qui souhaitent restaurer leur barrière immunitaire cutanée : il suffit de patienter une à trois semaines mais elle reviendra en force.
À l’arrêt de l’utilisation de ces savons antibactériens, le système immunitaire sera renforcé par le retour de la diversité du microbiome. Résultat ? Votre peau retrouvera son équilibre et vous serez moins souvent malade.
Dans mon cas, cela prendra plus de temps puisque j’ai malheureusement six années d’utilisation quotidienne de ces savons antibactériens et d’alcool derrière moi. Depuis la rédaction de cet article, je suis repassée à un pain de savon classique. Je viendrai éditer cet article avec le résultat de mon enquête personnelle : alors suis-je moins souvent malade ?
Un commentaire
Article très intéressant !