jeudi 2 mai | 07:03

Interview de la réalisatrice du documentaire A Tale of Love and Honor – A Life in Gion

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En Octobre dernier, lors d’un événement spécial NHK WORLD TV, à la MCJP nous avons eu la chance rencontrer Maki KUBOCHI, réalisatrice du documentaire A Tale of Love and Honor – A Life in Gion. Découvrez l’envers du décor de ce documentaire tourné dans le milieu secret des Geiko.

Est-ce la première fois que vous tournez un reportage sur les Geiko ?

Non, c’est le deuxième documentaire que je tourne à ce sujet. Il existe beaucoup de documentaires sur les jeunes Maiko, (terme désignant les jeunes filles amenées à être Geiko) et notamment sur leur formation, mais c’est la première fois qu’on entre autant dans leur quotidien et qu’on traite du sujet tabou de leur vie amoureuse et du fait qu’elles ne peuvent pas se marier.

Pourquoi vous êtes-vous intéressée à ce côté plutôt privé de la vie des Geiko ?

La raison pour laquelle j’ai choisi d’aborder le sujet est principalement parce que c’est un sujet qui m’intéresse personnellement tout comme le théâtre No, la cérémonie du thé, la danse traditionnelle qu’on appelle le Mai (Mai de Maiko).

Je suis entrée dans ce milieu pour la culture et l’art mais plus j’avançais dans mon reportage, plus je découvrais que ces femmes, qui n’étaient pourtant pas mariées, avaient des enfants et qu’il n’y avait pas forcément de père. C’est au court de mes discutions que j’ai appris qu’à Gion les Geiko et Maiko n’avaient pas le droit de se marier mais que le fait d’avoir un enfant pouvait être toléré. J’ai donc décidé de mettre l’accent sur ce point. C’est pourquoi j’ai choisi de suivre cette femme de 77 ans qui est donc le personnage principal de ce documentaire, et qui a fait le choix d’avoir une fille sans se marier.

Nous savons que le monde des Geiko est un monde très fermé et plutôt secret, comment avez-vous réussit à vous immiscer dans l’intimité de cette femme de 77 ans et de ses Geiko et Maiko ?

C’est un travail de très longue haleine. Il m’a fallut 6 ans pour mettre au point ce documentaire. Au début, j’ai fait la connaissance de ces femmes alors que je m’intéressais à l’art de la danse Mai. J’ai assisté à de très nombreuses séances de répétition, à de nombreux spectacles et avec le temps elles  ont finit par m’accorder leur confiance.

Elles sont donc devenues vos amies ?

Nous ne sommes pas sur des positions identiques, je ne peux donc pas tout à fait dire qu’elles sont
devenues des amies mais elles m’ont fait l’honneur de m’appeler « Doshi » ce qui signifie
littéralement « l’une d’entres elles ».

Combien de temps avez-vous filmé pour réaliser ce reportage ?

Juste pour la prise d’images, il m’a fallut tourner 9 mois, de septembre à mai. Quand j’ai commencé, je n’étais pas sûre des images que j’allais récolter et donc du documentaire que j’allais pouvoir faire. En effet même si on prévoit de filmer telle ou telle chose, ça ne se passe pas toujours comme prévu. C’est un travail plein de surprises.

Y a-t-il quelque chose qui vous a marqué dans le monde des Geiko ?

Ce qui m’a vraiment touchée c’est la beauté qu’elles dégagent lorsqu’elles dansent, chantent ou  jouent d’un instrument. Elles y mettent vraiment toute leur concentration et sont vraiment magnifiques à regarder.

Ce qui est très intéressant, c’est aussi leur part d’ombre. Les gens ont tendance à les comparer au soleil car lorsqu’elles exercent leur art, elles sont éblouissantes. Cependant, elles-mêmes, préfèrent se comparer à la lune. Comme elle, les Geiko/Maiko ont une face éclairée qui est celle que l’on connait lorsqu’on les voit maquillées et souriantes, mais elles ont aussi une face plus sombre que l’on a tendance à oublier.

Etre Geiko c’est une chose difficile et pleine de contraintes, elles sont souvent isolées de leur famille et n’ont personne à qui se confier ce qui leur donne un coté mélancolique qui fait tout leur charme.

Les avez-vous senties heureuses ?

Elles ne sont ni heureuses, ni malheureuses. C’est un mélange des deux. Si l’on prend le fait qu’elles ne peuvent pas se marier pour exemple, c’est une chose qui les rend plutôt malheureuses, mais cela crée entres-elles, des liens que l’on ne peut obtenir nulle part ailleurs. C’est le coté positif de la chose et elles n’échangeraient cela pour rien au monde.

N’est-ce pas mal vu pour une japonaise d’avoir un enfant hors mariage ?

Oui en effet, au Japon avoir des enfants hors mariage n’est pas très bien vu, rare et souvent mal vécu par les enfants. Mais Naomi, la fille de Kimi la Okami-san que j’ai suivi, prend cela plutôt bien. Elle se dit que c’est son destin, que cela est dû au travail de sa mère et que ça n’est pas si grave.

N’est-ce pas plus toléré par les japonais lorsque qu’il s’agit d’une Geiko ?

Il faut savoir que la majorité des Geiko n’ont en général pas d’enfant et finissent leur carrière célibataires. Pour celles qui ont des enfants, dans le milieu de Gion cela n’est pas mal vu, c’est quelque chose de banal, mais pour le reste des japonais, cela est mal vu. Dans mon documentaire, j’ai essayé de faire en sorte que celui-ci ne soit pas discriminant ou qu’il n’attise pas la pitié du téléspectateur.

Que souhaitez-vous que le téléspectateur retienne de votre documentaire ?

Je serais ravie si le public, après avoir visionné ce documentaire, pouvait comprendre que ces jeunes femmes sacrifient leur vie depuis des centaines d’années pour faire en sorte que leur art soit reconnu et atteigne un tel niveau d’excellence. J’aimerai que le public se souvienne que ce sont des femmes fortes, avec un grand amour propre et magnifique.

Y a-t-il des choses que vous n’avez pas souhaité montrer dans votre documentaire ?

J’ai forcément coupé beaucoup de prises pour monter mon documentaire, mais il n’y a pas grand chose que je n’ai pas voulu montrer, mise a part peut-être le coté business. Les maisons de Geiko sont là pour offrir du rêve, je ne voulais donc pas montrer les bureaux, les comptes, l’argent, les classeurs car ce n’est pas ce qui caractérise l’endroit, ni la raison pour laquelle ces femmes exercent ce métier. Ce que je voulais montrer aux gens, c’est l’humanité de ces vendeuses de rêves. A un moment, Naomi se dispute avec sa mère, ce moment là j’ai préféré le garder car cela montre une partie du quotidien de ces femmes.

Et vous personnellement, que retenez-vous de cette expérience ?

C’est un milieu où l’on n’entre pas facilement, mais une fois qu’on y est, il se crée des liens humains très forts. C’est la chose la plus précieuse que j’ai obtenu de ce reportage.

Voyez-vous la vie différemment ?

Je ne sais pas encore si cela a vraiment impacté sur ma vie, mais quand je travaillais avec elles j’ai trouvé qu’on avait beaucoup de points communs notamment dans le fait que moi aussi je donne tout pour mon travail de réalisatrice, je n’ai pas spécialement de famille non plus et comme elles, je ne dis jamais clairement non. Je trouve un moyen détourné de passer à autre chose.

Nous remercions très chaleureusement Mme Maki KUBOCHI qui nous a offert de son temps ainsi que toute l’équipe de presse qui nous a offert l’opportunité de réaliser cette interview.

A propos de l'auteur

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