samedi 27 juillet | 09:27

La controverse Jirai Kei

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Quand on pense à la mode japonaise, on imagine des styles mignons aux couleurs douces ou acidulées. Elle semble être le reflet d’une jeunesse qui respire la joie de vivre. Mais on est loin d’imaginer les sombres origines que cachent certains courants… La controverse autour du Jirai Kei en est un parfait exemple.

L’apparition du Jirai Kei :

Bien qu’il s’inspire d’anciennes tendances japonaises, le Jirai Kei est un style vestimentaire récent. On distingue les prémices de son esthétisme dans les pages du magazine Larme (catalogue du Larme Kei) dès 2018. Mais il faudra attendre début 2020 pour que le style gagne en popularité. Il a bénéficié d’une forte promotion sur les réseaux sociaux, notamment grâce à Tik Tok. La crise du Covid a, en effet, entraîné un accroissement de l’activité des influenceurs et une consommation plus importante de leurs contenus. D’abord populaire auprès des adolescentes, le Jirai Kei a finalement su séduire les jeunes femmes.

Yua de la série Tomorrow I’ll be someone’s girlfriend est une figure fictive du Jirai Kei

L’esthétisme :

Le Jirai Kei est un courant de la mode Girly (Girly Kei) qui s’est imposé dans les années 90 au Japon. Il est décrit comme une mode grand public avec une touche d’originalité. Il se veut classe, aux allures “preppy”, sombre mais adorable.

On retrouve de nombreux codes de la féminité dans les vêtements : des jupes courtes, des robes à volants, des chemisiers élégants réhaussés de dentelle,… Les tenues sont agrémentées d’accessoires mignons et de chaussures à semelles compensées. La palette de couleur comprend le noir, le blanc et une variété de roses. On voit parfois du beige, du bleu ou du gris, toujours en contraste avec le noir qui est dominant. Des marques comme Ank Rouge, Rojita, Swankiss ou Liz Lisa représentent l’esthétisme du Jirai Kei. Il n’est pas rare de voir des accessoires à l’effigie de personnages de Sanrio, notamment Kuromi qui jouit d’une certaine popularité auprès des adeptes du style.

La coiffure et le maquillage ont aussi leur importance. Pour parfaire la tenue, on nouera les cheveux souvent ondulés avec des nœuds en ruban ou des barrettes. Le maquillage “droopy eyes” est de mise. Grâce à des fards à paupières rouge, brun ou rose, on agrandit le regard et on donne l’impression qu’on vient de pleurer. L’utilisation de lentilles et de faux cils permettent d’accentuer cet effet.

Il existe des variantes au Jirai Kei traditionnel : le Subculture Jirai (Tomboy), le Jirai Danshi (variante masculine) et le Ryosangata (plus doux et moins sombre).

Pourquoi le Jirai Kei est-il controversé ?

D’abord, la traduction littérale de Jirai Kei soulève quelques interrogations. En effet, on peut traduire le terme par “type de mine” (“Landmine type” en anglais, en référence aux mines antipersonnelles). Il est également un dérivé de Jirai onna. Il décrit un type de femme souffrant de crises émotionnelles violentes. On peut alors qualifier ces personnes de bombes à retardement. Les “Landmine girls” sont d’ailleurs décrites comme mignonnes mais psychopathes. Le nom fait donc allusion à des troubles d’ordre mental. Cela fait écho à la polémique autour du Yami Kawaii et du Menhera faisant référence à la maladie et à la santé mentale de façon explicite.

Le second point troublant vient de son lieu d’origine. Alors que de nombreux styles alternatifs ont vu le jour dans les quartiers d’Harajuku et de Shibuya, le Jirai Kei prend sa source à… Kabukicho ! C’est dans le quartier du divertissement à la vie nocturne tumultueuse, que les adeptes du Jirai Kei ont commencé à se rassembler. Le style est associé aux Toyoko Kids, un groupe de jeunes personnes âgées entre 13 ans et 21 ans commettant des délits allant du vol aux agressions, en passant par la prostitution. Il s’agit pour la plupart de mineurs ayant fugués de chez leurs parents.

Le mouvement Jirai Kei est également accusé d’encourager les déviances (consommation excessive d’alcool, prostitution de mineurs,…) ainsi que d’autres comportements à risque pouvant entraîner des conséquences dramatiques. La détresse sociale et psychologique des mineurs impliqués dans le style auraient eu une incidence sur la hausse des cas d’automutilations ainsi que celle de leur taux de suicide.

Aujourd’hui encore, le Jirai Kei peine à se dissocier des actions déviantes en raison de leur prévalence au sein de la communauté. Certains voudraient voir le style disparaître, ou voir le nom modifié pour un terme à la connotation moins péjorative. Toutefois, ce lifestyle est loin d’être appliqué par toutes les personnes séduites par le Jirai Kei. Beaucoup le considèrent comme un simple style vestimentaire. Il continue de gagner en popularité malgré la ténacité des stéréotypes, et tend à s’écarter de son image sulfureuse.

A propos de l'auteur

Coucou c'est Megu ! La culture japonaise influence ma vie personnelle, professionnelle et artistique depuis de nombreuses années. J'écris principalement des articles Mode, mais il y a tant de choses dont j'aime parler à propos du Japon !

4 commentaires

  1. Merci pour cet article ! C’est intéressant de connaître l’histoire cachée derrière la mode. Je connaissais ce mouvement mais je ne savais absolument pas qu’il était né à Kabukicho en rapport aux jeunes délinquantes. Je comprends mieux certains codes utilisé dans ce style !!

    • Il y avait des choses que j’avais vues lors de mon dernier séjour. J’avais été surprise de voir autant de jeunes à Kabukicho, surtout des jeunes filles joliment habillées. Après avoir commencé mes recherches j’ai finalement pu comprendre ce que j’avais vu. J’ai toutefois voulu me montrer optimiste en essayant de nuancer le sujet et ne pas accabler toutes les personnes qui aiment ce style.

  2. Article très intéressant.
    Cette controverse me fait penser à celle que l’on a (eu) en Europe avec la mode gothique. Beaucoup y voit un style de mode. Mais derrière il y avait potentiellement une philosophie de vie sujette à discussion, en particulier dans son lien à la mort.

    • Merci pour ton avis !
      C’est vrai qu’on peut y voir un parallèle. J’ai trouvé intéressant de creuser le sujet afin de trouver l’origine de ce style et comprendre d’où pouvait provenir le malaise autour de ce sujet. Et il y aura toujours ce “duel” entre le lifestyle et le simple port de vêtements.

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