samedi 20 avril | 02:16

Interview Atsushi Okada

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Le photographe Atsushi Okada photographie l’île de Yururi depuis plus de 10 ans. Il a accepté de répondre à nos questions afin de présenter ce qu’il qualifie comme l’œuvre de sa vie.

1/ Pouvez-vous nous raconter votre histoire ? Qu’est-ce qui vous a amené à devenir le photographe que vous êtes aujourd’hui ?

Je suis né à Wakkanai, une ville de Hokkaidō. C’est une ville située à l’extrême Nord du Japon. Enfant, j’aimais déjà beaucoup l’art. Je me souviens d’ailleurs avoir reproduit une œuvre du peintre français Eugène Henri Paul Gauguin lorsque j’étais au lycée. Ensuite, j’ai continué mes études dans une faculté d’art où j’ai appris la photographie. J’y ai notamment découvert le livre La Chambre Claire : Note sur la photographie de Roland Barthes. Au Japon, cet ouvrage est un classique, parmi les livres portant sur la photographie.

J’ai sorti mon premier recueil de photos à l’âge de 24 ans et j’ai reçu le Prix Kimura Ihei, une récompense particulièrement renommée au Japon, à l’âge de 28 ans. Actuellement, je vis à Tokyo.

2/ Comment en êtes-vous venu à vous passionner pour l’île de Yururi ?

L’île de Yururi se situe au large de la péninsule de Nemuro, qui elle-même est à l’extrémité la plus à l’Est de l’île de Hokkaidō. C’est une toute petite île inhabitée, d’une circonférence de 8 km. Comme c’est une zone de reproduction pour les oiseaux de mer, il est interdit d’y débarquer. Donc, elle est interdite d’accès et très loin de Tokyo…

Pour cette raison, elle était très peu présentée dans les médias et la majorité des Japonais ne connaissaient pas son existence. Vers 2009, j’ai entendu une rumeur au sujet de cette « île à l’extrême Est du Japon, où ne vivent que des chevaux… » et ça m’a intrigué.

L’île de Yururi est donc cette île inhabitée par l’humain et peuplée de chevaux.

3/ Dites-nous en plus sur l’histoire de l’île de Yururi.  Comment des chevaux de la race percheron y ont-ils été introduits ?

« Pourquoi y a-t-il des chevaux sur cette île inhabitée ? » C’est justement pour avoir une réponse à cette énigme que j’ai essayé de m’y rendre. Il m’a fallu deux ans pour obtenir une autorisation spéciale. Le paysage qui s’est offert à moi le jour où j’y ai posé le pied pour la première fois reste gravé dans ma mémoire. L’île de Yururi existait bien… mais personne n’avait jamais découvert sa beauté… c’était une île fantasmagorique. Et depuis maintenant plus de dix ans, je continue de composer des photographies de cette île.

Il y a un demi-siècle, des humains y vivaient avec les chevaux, dont la force était indispensable à la vie sur l’île. Quand les humains sont partis, ils ont laissé les chevaux, parce que leur puissance était encore nécessaire afin de transporter des combustibles lourds jusqu’au phare de l’île.

Cette île est couverte de prairies, avec également des zones marécageuses. Les chevaux avaient donc largement de quoi se nourrir. Au fil du temps, l’île de Yururi a fini par devenir cet endroit magnifique complètement inhabité par l’humain. C’est en creusant un peu plus loin dans l’histoire des chevaux qui la peuplent, que j’ai eu la surprise de découvrir qu’ils étaient originaires de France, ce pays si éloigné du Japon.

À Hokkaidō, il y a des chevaux de la race « Dosanko ». Mais leur taille n’est que d’1,30 m ce qui fait qu’ils sont trop petits pour des travaux de force. C’est pour cette raison que, il y a une centaine d’années, les propriétaires de ranchs de la région ont importé des chevaux occidentaux, plus exactement des Percherons nés en France, en Normandie. Les chevaux de l’île de Yururi sont en fait les descendants croisés de Percherons de France et de Dosanko de Hokkaidō.

Des chevaux qui ont traversé l’océan pour arriver jusqu’à Nemuro… Leurs descendants qui vivent encore sur cette petite île inhabitée de l’extrême Est du Japon… Penser à cette « histoire éternelle » qui relie la France à l’île de Yururi, me procure une sensation étrange, comme si mon cœur sortait de l’espace-temps.

4/ Comment se déroule une journée type de travail sur l’île de Yururi (meilleurs moments pour faire des photos, matériel photo utilisé…) ?

Le littoral de l’île est entièrement constitué de falaises. Il ressemble beaucoup aux falaises d’Étretat, en Normandie. Et tout en haut de cette île déserte entourées de falaises s’étend un « paradis des chevaux » recouvert de prairies. Le seul bâtiment qu’on y trouve est son phare. Bien sûr il n’y a pas de route, et il n’y a pas non plus d’électricité ni d’eau courante. Alors quand j’y séjourne pour prendre des photos, je passe mes nuits dans une tente. Seul avec les chevaux sur une île… Dans cet endroit comme coupé du monde, le temps s’écoule différemment.

Je prends également des photos la nuit. Même en marchant dans ces prairies, avec pour seules lumières celles du phare et des étoiles, je n’ai jamais peur, parce qu’il n’y a pas d’animaux qui puisse attaquer les humains. C’est aussi pour ça que les chevaux qui vivent là sont très paisibles.

5/ Qu’est-ce qui vous plaît dans la prise de photos de paysages et d’animaux ?

Je pense que ce qui est important, c’est de partir à la rencontre d’un monde qu’on ne connait pas. Je ne veux pas dire par là qu’il faut voyager dans un pays lointain. Il arrive tout simplement qu’on se rende compte que ce qu’on tenait pour vrai ne l’est pas, que des choses qu’on trouvait normales sont en fait exceptionnelles, je pense que c’est important de faire des rencontres qui nous amènent à de nouvelles prises de conscience. La photographie, c’est pour moi un moyen d’entrer en contact avec des mondes que je ne connais pas.

6/ Pourquoi souhaitez-vous promouvoir l’île de Yururi auprès des étrangers ?

J’ai parlé de Gauguin et de Roland Barthes au début, car j’ai été très influencé par la culture française. Et ce n’est pas que moi, c’est aussi le cas de nombreux Japonais. C’est pour ça que, de la même manière, j’ai envie que les gens du monde entier connaissent diverses facettes du Japon.

Par exemple, à Nemuro, cette petite ville au large de laquelle est l’île de Yururi, il existe une recette locale dérivée de « l’escalope » française. Et bien sûr, les chevaux de Yururi ont un lien avec la France. Autrement dit, la culture française est arrivée jusque dans cette ville d’extrême Est du Japon.

C’est pour ça que j’aimerais surtout que les Français sachent qu’il y a sur une petite île inhabitée du bout du Japon avec des chevaux qui ont du sang de chevaux français.

7/ Êtes-vous déjà venu en France ? Pouvons-nous espérer que vous veniez un jour y proposer une exposition de votre travail ?

Je ne suis jamais allé en France, mais j’aimerais un jour aller en Normandie, le berceau des Percherons.

Bien sûr, je serais ravi que mes œuvres soient un jour exposées en France. Je ne peux pas y emmener des chevaux eux-mêmes, mais j’aimerais bien amener ceux qui sont sur mes photos.

Au printemps, un livre que j’ai écrit au sujet de l’île de Yururi va sortir au Japon. J’espère qu’il sera un jour publié en version française ! Mais j’imagine que ce n’est pas pour tout de suite.

En attendant, je vous invite à aller voir le site que j’ai créé au sujet de cette île.

Yururi Island Website : https://www.yururiisland.com

Today Yururi | Instagram : https://www.instagram.com/yururi.island/


Atsushi Okada / Photographie

Il est né en 1979 à Hokkaido, au Japon. Il est diplômé du département de photographie du Collège d’art de l’Université des arts d’Osaka en 2003 et a obtenu son doctorat (art) de la Graduate School of Arts de l’Université polytechnique de Tokyo en 2008.

La même année, il remporte le prix Kimura Ihei, également connu sous le nom de « Prix mondial Akutagawa pour la photographie ». Il a également remporté le Hokkaido Cultural Encouragement Award, le Higashikawa Awards Special Photographer Award, et le Fuji Photo Salon New Face Award.

Certains des ouvrages qu’il a publiés sont « Je suis » (Maison d’édition AKAAKA, 2007), « ataraxia » (Maison d’édition Seigensha, 2010), « LE MONDE » (Maison d’édition AKAAKA, 2012), « MÈRE » (Hakurosha, 2014) et « Shota Yasuda Photo Collection : LA VIE EST » (Magazine House, 2020). Ses œuvres font parties des collections publiques du Musée d’art moderne d’Hokkaido, du Musée de la ville de Kawasaki et de la Galerie Higashikawa Bunka. Il photographie l’île de Yururi depuis 2011.

 

A propos de l'auteur

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