Le 16 décembre 2024, j’ai assisté à la projection de Jusqu’à l’aube (Yoake no Subete), réalisé par Shō Miyake, au MK2 Bibliothèque François Mitterrand dans le cadre des Saisons Hanabi. Ce film m’a touchée par sa douceur et la finesse avec laquelle il aborde la santé mentale, tout en explorant les liens humains dans le contexte unique de la société japonaise.
Une rencontre entre deux âmes abîmées
L’histoire suit Misa et Takatoshi, deux collègues d’une petite entreprise d’instruments scientifiques pour enfants. Tous deux luttent contre des troubles qui compliquent leur quotidien :
- Misa souffre de symptômes sévères du syndrome prémenstruel (SPM), ce qui impacte son humeur et ses interactions sociales. Son corps et ses émotions lui échappent par moments, rendant difficile son rapport aux autres.
- Takatoshi est atteint de troubles paniques, qui l’ont poussé à quitter Tokyo pour un cadre de vie plus apaisant en banlieue.
Entre eux, pas de grand bouleversement ni de passion soudaine, mais une forme d’entraide silencieuse. À travers des gestes simples et une compréhension mutuelle, ils se soutiennent, chacun à sa manière.
La vie en entreprise au Japon
Pour un spectateur français, Jusqu’à l’aube offre aussi un éclairage intéressant sur le travail au Japon. L’entreprise dans laquelle évoluent Misa et Takatoshi est petite et conviviale, loin de l’image des grandes entreprises où le surmenage est souvent dénoncé. Pourtant, même dans ce cadre, on ressent la pression de la société japonaise :
- Le poids des apparences : Takatoshi fuit Tokyo, mais son trouble reste invisible aux yeux de ses collègues. La norme veut que chacun garde ses difficultés pour lui, un reflet de la stigmatisation encore présente autour des troubles mentaux.
- L’importance du collectif : Bien que leurs supérieurs et collègues soient bienveillants, Misa et Takatoshi évoluent dans une société où l’individu doit souvent s’effacer au profit du groupe. Cela rend leur isolement encore plus palpable.
Pour nous, cela peut inviter à réfléchir sur nos propres rapports au travail et à la santé mentale. Si le Japon met en avant des valeurs comme la discipline et le collectif, ces mêmes valeurs peuvent aussi peser sur les individus les plus vulnérables.
Un titre chargé de sens
Je me suis demandé pourquoi avoir choisi le titre Jusqu’à L’aube mais en japonais le titre du film est 夜明けのすべて (Yoake no Subete), qu’on traduira plutôt par « Tout de l’aube ». Ce choix n’est pas anodin : l’aube symbolise un nouveau départ, une transition vers la lumière après l’obscurité. Pour Misa et Takatoshi, c’est une image forte qui illustre leur quotidien : leurs troubles ne disparaissent pas, mais ils apprennent à avancer malgré eux, un jour après l’autre. Le film montre que l’espoir réside souvent dans ces petits moments de compréhension et de répit, plutôt que dans un changement radical.
Une mise en scène qui laisse de la place à l’émotion
Ce qui frappe dans Jusqu’à l’aube, c’est son rythme lent et contemplatif. Shō Miyake filme des instants du quotidien avec pudeur, jouant sur les silences et les non-dits pour capturer les émotions les plus subtiles. L’une des scènes les plus marquantes est celle du planétarium, où Misa reprend les paroles d’un collègue décédé, dans un moment suspendu entre mémoire et espoir.
Les performances de Haruka Imou et Masaki Suda sont incroyablement justes. Leur jeu tout en retenue donne une beaucoup de sincérité aux personnages, rendant leurs blessures et leur force encore plus palpables.
Une relation amicale… et un choix audacieux
J’aurais aimé voir une romance se développer entre Misa et Takatoshi, car leur connexion est forte et pleine de tendresse. Mais le film choisit de rester sur une amitié profonde, mettant en avant l’idée que l’amour n’est pas toujours la seule forme de lien qui guérit. Et finalement, c’est peut-être ce qui rend leur relation encore plus précieuse.
Une réflexion pour nous, spectateurs
Jusqu’à l’aube n’est pas seulement une plongée dans la psychologie des personnages ; c’est aussi une invitation à regarder la société japonaise d’un œil neuf. Le film interroge notre propre rapport à la santé mentale, au travail et aux relations humaines. Il nous rappelle que, parfois, la compréhension mutuelle et la bienveillance suffisent à alléger les fardeaux que l’on porte.
Un film à voir pour ses émotions sincères et sa capacité à nous faire réfléchir, bien au-delà de son cadre.
Merci aux Saisons Hanabi pour leur invitation.