Japan Rhapsody : le Japon au prisme d’une expérience singulière

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Japan Rhapsody : le Japon au prisme d’une expérience singulière

À travers ces pages, Adama Sissoko nous entraîne dans son Japon — pas celui des brochures touristiques ou des dramas romantiques, mais un Japon vécu au quotidien, avec ses zones d’ombre et ses contradictions. Le récit, qui se déroule entre fin décembre 2014 et début juillet 2017, adopte un angle rare : celui d’une jeune femme noire, immergée dans un pays souvent idéalisé, qui choisit de raconter sans filtre ce qu’elle a vu et ressenti.

Née en 1986 à Nanterre, d’origine sénégalaise, Adama Sissoko a travaillé dans l’hôtellerie de luxe aux États-Unis et en France avant de s’envoler pour le Japon, convaincue d’y trouver l’aventure et le changement qu’elle cherchait. Ce séjour, jalonné de découvertes, de chocs culturels et de remises en question, deviendra la matière première de ce livre.

La lucidité derrière la fascination

L’autrice n’élude pas les réalités moins reluisantes du Japon, celles que l’on retrouve rarement dans les récits grand public. Elle parle sans détour du patriarcat qui imprègne certains environnements professionnels, où l’on peut encore imposer aux femmes de porter des talons de cinq centimètres ou de veiller à ce que leurs chemises ne dépassent pas de leur veste. Elle évoque aussi le nationalisme latent de certaines entreprises, où la langue et l’origine deviennent des filtres implicites à l’intégration.

Les préjugés raciaux, elle les vit de plein fouet :

« Katashi-san ne m’a pas demandé d’où je venais, mais plutôt d’où mes parents ou peut-être mes grands-parents venaient. »

Plus loin, elle s’attaque à des sujets encore plus sensibles : la banalisation de la prostitution, l’accès difficile à la pilule contraceptive, et la vision culturelle de l’avortement, entourée de tabous. Ce dernier point, abordé avec une franchise désarmante, pourra heurter certains lecteurs — mais c’est aussi ce qui donne toute sa force à son témoignage.

Une voix personnelle et assumée

Adama écrit comme elle parle, avec ses références, ses clins d’œil et son humour parfois piquant. On la suit dans des situations qui font sourire, comme ce passage chez le coiffeur où, intrigué par ses cheveux crépus, un employé lâche un « Nani kore ? » (Qu’est-ce que c’est ?) aussi spontané que maladroit. Entre deux coups de peigne, elle rit, explique, et transforme l’instant en petite scène de comédie du quotidien.

Ce ton décalé traverse tout le livre. On passe d’une déclaration insolite — « Nos proprios sont des yakuzas » — à l’absurde le plus total, comme lorsqu’on lui refuse la livraison de deux livreurs sous prétexte qu’elle est « une femelle seule à la maison ».

Ses références pop culture ajoutent une vraie complicité avec le lecteur : un surnom ironique « Greet teacher Adama » en clin d’œil à Great Teacher Onizuka, ou un trajet de métro plongée dans The Walking Dead sur sa liseuse. Pas un tournant narratif, mais un signe de génération qui ancre sa voix et son regard.

Des scènes qui marquent

Certaines pages frappent par leur intensité émotionnelle, comme lorsqu’elle évoque Chiyo, une élève timide au comportement inquiétant, qu’Adama soupçonne de vivre une situation de maltraitance. L’incapacité à agir face aux barrières culturelles et administratives rend ce passage particulièrement poignant.

D’autres, plus légères, montrent l’absurde ou la tendresse du quotidien : repas improvisés, maladresses linguistiques, ou rencontres improbables dans un train ou un bar.

Ce qui m’a moins convaincue

J’ai eu du mal à me plonger dans le récit. Le début manque de dynamisme, et pour un profil TDA comme le mien, l’entrée en matière demande un effort avant de vraiment accrocher. La fin, elle, est un peu abrupte : après s’être donné autant de mal à s’installer, on ne comprend pas clairement pourquoi Adama et Julien décident de repartir.

Le style d’Adama est direct, universel dans ses thématiques, mais parfois peu diplomate. Cette franchise pourra froisser certains lecteurs, comme dans le passage sur l’avortement : elle s’excuse auprès des femmes qui ont du mal à avoir un enfant, mais parle malgré tout de « se débarrasser de ce truc » à l’intérieur d’elle. En tant que lectrice qui cherche à avoir un enfant depuis plus de dix ans, cette formulation m’a pincé le cœur. Néanmoins, c’est son ressenti, et il faut l’aborder avec ouverture d’esprit : ce ton tranché a aussi l’avantage de révéler sa personnalité et de donner du relief à son récit.

 

En conclusion

7.0
70%
Sans filtre

Plus qu’un carnet de voyage, ce livre est un témoignage brut et singulier, qui ose s’attaquer aux aspects moins glamour du Japon tout en restant incarné et personnel. Adama Sissoko refuse les filtres Instagram : elle observe, doute, revendique, et raconte le quotidien tel qu’il est, sans fard. Résultat : un texte vivant, parfois rugueux, toujours honnête, qui accroche dès les premières pages.

Entre fascination et désillusion, humour et gravité, Japan Rhapsody bouscule les clichés touristiques pour interroger ce que signifie vraiment « vivre » au Japon : se confronter aux normes sociales, aux rythmes de travail, à la solitude urbaine, mais aussi aux éclats de beauté qui rendent l’attachement tenace. Les références générationnelles (années 80–90, culture pop, codes internet) balisent le récit et le rendent immédiatement parlant pour une lectrice ou un lecteur d’aujourd’hui.

« Un récit sans vernis, qui remplace la carte postale par la conversation. »

Ce qui frappe

  • La franchise du ton : pas de mythologie facile, un réel assumé.
  • La structure en tableaux : scènes courtes, efficaces, qui se répondent.
  • Les repères générationnels : culture pop, langage, codes sociaux ancrent l’expérience.

Les vraies questions posées

  • Peut-on aimer un pays sans se mentir sur ses angles morts ?
  • Que devient l’idéalisation quand la routine s’installe ?
  • Comment habiter une culture qui n’est pas la sienne sans s’y dissoudre ?

À savoir

  • Le ton très direct pourra désarçonner si vous cherchez une « carte postale » du Japon.
  • Quelques chapitres sont volontairement âpres : c’est le contrat du réel.

Pour qui ?

Celles et ceux qui aiment le Japon sans œillères, les expatrié·e·s en questionnement, les voyageurs curieux, et plus largement quiconque préfère la complexité au vernis.

A propos de l'auteur

Salut à tous ! En temps que grande fan de la culture japonaise, je fais au mieux pour partager ma passion à travers ce site. J'adore papoter, donc n'hésitez pas à me laisser un commentaire sous l'article. Je serai ravie d'échanger avec toi ;-)

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